La République des imposteurs
Comment en sommes-nous arrivés à vivre ou survivre dans un pays où rien de positif n’émerge de ceux qui ailleurs sont les véritables sources d’inspiration de tout un peuple: leurs dirigeants? Dans les civilisations occidentales, après des régents criminels qui affamaient leurs subordonnés, les républiques démocratiques sont nées de l’idée de la libération de ces mêmes subordonnés! Chez nous, notre République, avec ses soixante ans sonnés, a véritablement produit l’inverse en affamant ses populations et en les rendant tout, sauf libres! Quelle imposture, quand même! À tous les niveaux de notre société Camer, ceux qui montrent l’exemple sont ceux-là même que personne n’aurait imaginé le faire, ni même être choisis comme tels! Le comble de ma démonstration c’est que l’énoncer par le bas ou le sommet de notre pyramide ne change pas grand chose à la conclusion, conclusion à laquelle je précise n’être évidemment pas le seul arrivé! C’est presque trivial! Allons-y donc!
À la base de notre société traditionnelle, les imposteurs sont ces Chefs de villages convertis en « Administrateurs » par un gouvernement essoufflé, et donc relais (économiquement dépendants) du système qui nous gouverne! Ces gardiens de nos temples ancestraux ne sont aujourd’hui, pour la plupart, que des marionnettes ou même des girouettes se mouvant au gré du vent qui souffle depuis la Capitale! Et précisons qu’avec le temps et l’expérience, ils ont perfectionné leur craft et ont développé de véritables cours autour d’eux, faites de vautours insolents et prêts à tout pour sauver leur per diem!
Dans le système scolaire, et nous l’avons mentionné plusieurs fois, les imposteurs ce sont malheureusement ces enseignants qui pour nous étaient presque des dieux lorsqu’ils nous distillaient la connaissance jadis. Puis, sans véritable contrôle de leur hiérarchie ou peut-être avec la complicité de celle-ci, ils sont devenus des marchands d’illusion, vendant « l’eau » aux jeunes filles comme garantie de succès aux examens scolaires, leur promettant la lune si et seulement si le chemin pour y arriver passait par leurs lits à eux, enseignants tout-puissants, de nos collèges jusqu'à nos universités!
Dans notre chère administration, du planton qui vous reçoit et s’attend à ce que vous montriez patte blanche (son boulot étant de trier qui « entre et sort »), jusqu'au chef de département ministériel, qui semble toujours occupé à recevoir (on se demande quand il travaille), la logique de l’imposture règne en maître!
On a installé des personnes qui n’ont d’allégeance que pour ceux ou celles qui les ont mis « en haut », et la mission de service public jadis au centre de leurs activités, en est grandement affectée!
A ces imposteurs-là, s’ajoutent leurs complices externes et tout autant redoutables: ils arpentent les couloirs de ces ministères, se targuent d’être des proches du sommet, parlent de marchés et de millions (ou milliards, même) et ne peuvent généralement pas aligner deux phrases sans que l’argent ne soit au milieu. Ils roulent carrosse et se vêtissent chèrement, prétendant que l’habit fait bien le moine dans leurs cas!
Autres imposteurs si on déplace le champ d’observation vers la santé publique: les médecins, vrais et faux, qui émargent au service public (sont donc des fonctionnaires de l’Etat Camer), mais qui mènent en fait des activités parallèles en cliniques privées et abandonnent ainsi de facto la grande majorité des Camers ne pouvant pas se payer le luxe des soins en cliniques. Ces imposteurs en blouses blanches, certains de nos générations à nous, nous déclarent sans ambages que leurs multiples chantiers immobiliers demandent à ce qu’ils se déploient sur tous les fronts, ils nous expliquent aussi que la scolarisation de leurs enfants à l’étranger coûte de plus en plus cher! On se demande si le serment qu’ils ont prêté précisait en son temps que sauver les vies devait être synonyme d’accumulation de richesses. Passons! Nos imposteurs se retrouvent vraiment partout!
Prenons la télé aussi: à longueur de journée, les plateaux de nos chaînes publiques et privées sont remplis de spécialistes en tous genres, de donneurs de leçons qui s’emploient à justifier l’injustifiable et à parler au nom de je ne sais quels Camers. Ils ont certes depuis, développé et entretenu des audiences bien réelles (leurs suiveurs) mais ils n’avouent jamais quel est leur but ultime, que nous soupçonnons tous: se tailler une place auprès du prince, se voir confier une fonction généralement factice, mais qui dans la société leur permettrait de se définir comme élites: tous des imposteurs!
Même au marché, dans nos quartiers populaires ou résidentiels (aujourd’hui les deux se mélangent sans harmonie, d’ailleurs), les imposteurs courent les rues: entre les apprentis sorciers (les vrais, pas ceux de l’ancien MinCom) qui vous accostent et vous promettent de régler tous vos problèmes familiaux ou même de virilité, et les « pharmaciens » ambulants à tous les carrefours vous vendant leurs comprimés périmés ou leurs potions venues de Chine ou d’Inde, sans jamais avoir subi un quelconque contrôle préalable, ils vous guettent tous et rêvent de vous vendre leurs impostures, car personne ne dit rien, personne ne les stoppe...
imposture, imposture quand tu nous tiens!
J’aurais dû commencer par nos ports d’entrée, nos aéroports internationaux, Nsimalen ou Douala, car là aussi, les imposteurs caracolent au sommet de leur art ! En effet, tout commence à l’atterrissage, avec l’ordre par lequel les passagers sont priés de sortir de l’avion: on assiste en général à un spectacle assez unique: des hommes en tenue avec pour mission d’escorter certains passagers, font irruption dans la cabine, leur font signe puis quittent l’appareil accompagnés de leurs VIP devant des passagers aussi médusés qu’impuissants face à ce spectacle avilissant. Difficile de choisir ici qui sont les vrais imposteurs, ces VIP d’un soir ou alors ces gendarmes qui, croyez-moi, ne sont pas en service mais semblent jouir d’une légitimité (mais surtout d’une immunité) liée au port de leur uniforme kaki ou de leur treillis. Là encore, personne ne bronche, on te signale juste en passant qu’Unetelle est en fait la « petite » du DG ou du ministre, ou encore celle d’un célèbre footeux au numéro de dossard inférieur à 10.
Transportons-nous sur les rives bordant notre océan, sur les douces plages de Kribi, que nous rencontrons un autre type d’imposteurs: ils se présentent comme des démarcheurs immobiliers, prétendent pouvoir vous vendre les terrains les mieux situés en bordure de mer, parlent de leurs relations avec les notaires de la place qui vous aideront à faciliter les procédures administratives d’achat de terrains ou d’immeubles et puis surtout, ils comptent en termes de millions, de milliards même: ils sont frais, dispos, prêts à dégainer (à vous faire signer un contrat) et ne présentent aucun signe d’incompétence! Ces imposteurs-là semblent bien introduits et opèrent à visage « découvert », que votre potentiel terrain soit en fait déjà vendu à une ou dix autres personnes. Who cares? Il ne leur arrivera rien!
En repartant de notre pays, repassant par nos aéroports, on se heurte là aussi à une race particulière d’imposteurs: ils sont soit chargés de fouiller vos bagages, soit de les inspecter pour des raisons de santé publique. Lorsque naturellement vous déclarez que n’avez pas de produits ou de vivres frais, ils vous demandent quand même de payer ces certificats phytosanitaires et si vous répondez que vous n’avez pas à le faire, ils rétorquent qu’ils font leur travail. Qui croire? Bonne question!
Nos propres familles ne sont pas épargnées par cette recrudescence de serviteurs douteux, qui parfois se réclament proches de ceux de nos proches qui sont morts, parlent de l’héritage comme un dû qui leur revient, de l’appartenance des défunts à de multiples sociétés secrètes ou même d'une progéniture inconnue qui réclame sa part...
À tous ces imposteurs identifiés de la République, à ceux qui plus discrètement bénéficient de leur collaboration, y compris les non moins imposteurs tapis dans l’ombre car ayant intégré notre fonction publique sur la base de diplômes douteux, je dirais simplement que le Tour du Cameroun de l’imposture, à travers ses 10 visages comme dans ses 10 régions, a bien une ligne d’arrivée, que « quelle que soit la durée de la nuit, le soleil finira par se lever », et que les Camers endormis se réveilleront aussi, bientôt, c’est inévitable!